Les enjeux climatiques sont aujourd’hui au cœur du débat public. Sujet polémique, objet de préoccupation ou de déni, le réchauffement climatique fait souvent la Une des journaux. Gouvernements, sociétés civiles et acteurs privés s’engagent, à leur rythme et à leur échelle, pour tenter d’en diminuer les conséquences. Au sein de l’entreprise, cette nouvelle réalité implique de revoir l’organisation, la stratégie et le management.
Les pays présents à la COP28 ont approuvé, en décembre 2023, par consensus, une décision appelant à une « transition » vers l’abandon des énergies fossiles. Devant l’urgence climatique, citoyens, pouvoirs publics et entreprises doivent se mobiliser pour ralentir les effets du réchauffement climatique.
En France, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a recommandé en avril 2023 d’adapter l’organisation des entreprises aux canicules afin de protéger la santé physique et psychique des travailleurs. Si certains secteurs sont plus directement concernés – comme l’agriculture, le bâtiment ou les transports – toutes les entreprises font face à la même problématique : comment s’adapter au réchauffement climatique ?
Des dirigeants concernés
Confrontés à des manifestations météorologiques plus extrêmes pouvant impacter la productivité de leur entreprise, des dirigeants ont déclaré à Deloitte en 2023 avoir été personnellement touchés (80%), ou se sentir concernés (62%) par le changement climatique, tout le temps ou la plupart du temps.
Pour agir, les organisations prennent des mesures, comme le recours à des matériaux plus durables dans la conception de leurs bâtiments, forment leurs collaborateurs au changement climatique ou encore développent de nouveaux services plus respectueux du climat. Si les entreprises s’engagent dans des stratégies de réduction des gaz à effet de serre, elles sont encore peu nombreuses à s’impliquer dans le changement de l’organisation et des méthodes de travail face à des épisodes climatiques de plus en plus intenses.
La bascule doit venir des entreprises
Pourtant, selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), les entreprises jouent un rôle crucial dans la protection de l’environnement et la création d’une transition juste, basée sur l’équité et la participation de toutes les parties prenantes.
C’est le constat qu’a également fait Eric Duverger, ancien cadre de Michelin, avant de créer la Convention des entreprises pour le climat (CEC) en 2020. Cette initiative, portée par plusieurs entrepreneurs, a rassemblé dans sa première édition 150 dirigeantes et dirigeants, un comité garant de la mission, des experts indépendants, des facilitateurs, ainsi que des participants du monde étudiant pour trouver des solutions afin d’accélérer les stratégies bas-carbone et la reconnexion au vivant de chacune des entreprises participantes. « A la clé : des propositions concrètes, ambitieuses et exigeantes, issues des entreprises, en faveur de la transition vers une économie écologique », assure Florent Favier, porte-parole de la CEC.
Rossignol a ainsi réussi à développer une gamme de skis recyclés à 77% – contre environ 7% pour des skis traditionnels. Renault Trucks, de son côté, a pris un virage vers plus d’électrique et de thermique transposables en ouvrant ses lignes de production et son réseau de commercialisation à la fabrication et la vente de vélos cargo électriques.
« La CEC a montré qu’un entrepreneur, conscient des enjeux environnementaux, les intègre à sa vision et à ses activités. Les dirigeants ont la nécessité de se reconnecter à leurs émotions et au vivant, que toutes les décisions ne sont pas financières, mais aussi et surtout humaines », souligne le porte-parole.
Des enjeux qui induisent la radicalité ?
La marque Mustela du groupe Expanscience a ainsi annoncé, en décembre 2023, renoncer d’ici quatre ans à la production de lingettes pour bébés – qui représentent actuellement 20% du chiffre d’affaires de la marque – par conviction écologique.
Une décision radicale de modèle économique et de stratégie globale en interne comme en externe, qui semble être la voie pour garantir un vrai changement climatique, d’après Florent Favier. Selon lui, bousculer les organisations passe d’abord par la prise de conscience que « l’environnement n’est pas un sujet annexe mais bien fondamental à la survie de l’entreprise et qui doit être pris en main par les dirigeants eux-mêmes ».
Du dirigeant aux collaborateurs et à tout l’écosystème
Une position partagée par les équipes de EY Fabernovel, qui a inauguré l’EY impACT Lab, un nouvel espace dédié aux enjeux de durabilité des entreprises et des organisations. Ce lieu de réflexion a pour objectif d’identifier, de prioriser et de tester des solutions pour accélérer la transformation de chaque organisation vers des modèles plus durables.
« Les dirigeants ont conscience qu’il faut qu’ils soient eux-mêmes formés aux enjeux pour ensuite pouvoir faire de la pédagogie en interne comme en externe pour entraîner tout leur écosystème de fournisseurs et de clients, voire de concurrents, dans la transformation globale d’une filière. », souligne Axelle Ricour-Dumas, associée d’EY Fabernovel.
Le leader en data science Ekimetrics a ainsi modifié une grande partie de son business model et est devenu entreprise à mission. « Dans mon organisation interne, j’ai créé une équipe entière dédiée au développement des offres propres au climat et à l’environnement et j’ai adapté mon management », souligne le dirigeant, Laurent Félix. Dans son reporting financier, il a également inclus une dimension extra financière avec des indicateurs qui montrent l’action de l’entreprise sur son écosystème.
Selon lui, le changement en interne est intéressant et difficile à la fois. Lorsqu’il décroche un contrat avec une compagnie aérienne, son équipe l’interroge sur la cohérence de ses choix. « Je préfère essayer de transformer le secteur aérien plutôt qu’être spectateur, mais cela m’oblige à me justifier auprès de mes équipes ». Des discussions qui le poussent à négocier une clause de résiliation dans le contrat en cas de divergences de position sur le climat.
Une bascule nécessaire et opportune
Cette prise de risque pourrait déboucher sur de réelles opportunités pour l’entreprise comme pour ses collaborateurs. Antoine Crépel, Consultant Senior chez Carbone 4, en est convaincu et assure dans un article que « les entreprises qui se seront le mieux préparées aux évolutions à venir pourront tirer leur épingle du jeu, en anticipant les évolutions du marché, les besoins clients de demain, les futures exigences réglementaires ».
Reste que le chemin est encore long, avant d’atteindre le fameux Tipping Point (ou point de bascule) selon lequel « quand dans une population donnée, des individus qui ont un comportement singulier s’allient et finissent par peser 10% de cette population, alors ce comportement devient la norme ».