La vitesse à laquelle l’intelligence artificielle s’est développée et a été déployée au niveau mondial a suscité de nombreuses interrogations sur l’impact de cette technologie sur la vie professionnelle et personnelle des individus. De fait, de nombreux employeurs ont déjà intégré l’IA au sein de leur organisation. Cette brusque évolution soulève une vieille question qui occupe aujourd’hui tous les esprits : les travailleurs pensent-ils être condamnés à être remplacés par la technologie ?
La réponse est non, selon la dernière enquête Workmonitor Pulse menée par Randstad auprès de plus de 7 000 personnes dans 5 pays (Allemagne, Australie, Etats-Unis, Inde, Royaume-Uni). La majorité des personnes interrogées (52%) pensent en effet que l’IA leur permettra d’évoluer et de progresser dans leur carrière plutôt que de leur faire perdre leur emploi. C’est ce que montre par ailleurs la forte augmentation des offres d’emploi ciblant les professionnels qualifiés en matière d’IA. Le suivi de ces offres par Randstad indique une augmentation de 2 000% depuis le seul mois de mars 2023. Près de la moitié des personnes sondées (47%) sont par ailleurs enthousiastes à l’idée d’utiliser l’IA dans l’environnement de travail, contre 39% se déclarant inquiètes de l’impact de l’IA sur leur emploi.
Il est compréhensible que l’IA puisse être considérée comme une menace potentielle pour l’emploi. Selon le rapport 2023 Future of Jobs du Forum économique mondial, la majorité des entreprises prévoient d’accélérer l’automatisation des processus dans le cadre de leur stratégie RH. Cependant, il faut prendre en compte qu’elles prévoient également de faire passer un grand nombre de leurs travailleurs d’un poste actuellement en déclin à un poste d’avenir. Une autre étude menée par Upwork a révélé que la plupart des dirigeants prévoient d’embaucher davantage de travailleurs suite à l’adoption de l’IA dans leur organisation.
Notre enquête montre qu’un tiers des salariés utilisent déjà l’IA au travail, ce qui amène une majorité (53%) à penser que cette technologie finira par impacter leur secteur d’activité et leur emploi. Cette constatation est envisagée sous un angle plutôt positif, dans la mesure où 59% des personnes interrogées déclarent posséder les compétences nécessaires pour utiliser l’IA, contre 17% considérant ne pas les avoir. De plus, parmi toutes les opportunités de formation dont les répondants souhaiteraient disposer, l’IA arrive en troisième position (22%), après le management et le leadership (24%) et le bien-être et la pleine conscience (23%).
À l’instar des révolutions industrielles précédentes, l’innovation technologique d’aujourd’hui devrait créer plus d’emplois qu’en détruire. Il est toutefois nécessaire que les entreprises prennent des mesures pour préparer leurs collaborateurs aux changements de méthode de travail à venir. Les travailleurs interrogés par Randstad sont largement d’accord, 55% d’entre eux estimant qu’ils doivent monter en compétence pour faire évoluer leur carrière. Ce sentiment est particulièrement fort chez les Millennials plus âgés (35-44 ans), qui sont à 60% de cet avis. Il n’est pas surprenant que les membres de la génération X (45-54 ans) et les baby-boomers (55-67 ans) soient les moins nombreux à partager ce point de vue (47%). Au fil des années de recherche, ces groupes se sont en effet toujours révélés les moins enthousiastes à propos de l’apprentissage et de la montée en compétence.
Outre l’importance accordée à l’IA et la vision globalement positive de son impact sur les carrières des salariés, nous avons constaté qu’une majorité des personnes interrogées considèrent cette technologie comme un facilitateur d’interactions sociales. Près de la moitié d’entre elles (45%) affirment que l’utilisation de l’IA permettra aux personnes de passer plus de temps ensemble dans l’environnement de travail comme au dehors, contre 27% qui ne sont pas d’accord. Une majorité (53%) des membres de la génération Z (18-24 ans) et des millénials (25-44 ans) sont de cet avis, soit plus du double de ceux d’entre eux (23%) qui pensent le contraire. En revanche, seul un tiers du segment le plus âgé (55-67 ans) pense que l’IA contribuera de manière positive aux relations sociales.
Différences régionales
Nous avons constaté des variations régionales significatives dans les attitudes et les perspectives des salariés à l’égard de l’IA. Une grande majorité des personnes interrogées en Inde (74%) se sont déclarées enthousiastes à l’idée d’intégrer l’IA dans l’environnement de travail, soit plus du double du taux enregistré en Allemagne (36%). Dans le même temps, les travailleurs indiens ont exprimé la plus grande appréhension quant à l’impact de l’IA sur leur emploi, 52% d’entre eux se déclarant inquiets. À l’inverse, les travailleurs allemands sont les moins inquiets à ce sujet (33%). Ces sentiments contrastés peuvent s’expliquer par le taux élevé d’utilisation de l’IA au travail dans l’État le plus peuplé du monde : 56% des personnes interrogées utilisent actuellement cette technologie dans leur environnement de travail, soit bien plus que les personnes interrogées en Australie, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
De nombreux travailleurs souhaitent bénéficier au cours des 12 prochains mois d’opportunités de formation et de de montée en compétence liées à l’IA, notamment en Inde (30%). En dehors des compétences liées aux nouvelles technologies, plus d’un quart (28%) des travailleurs australiens et américains souhaitent acquérir davantage de compétences en matière de management et de leadership – le taux le plus élevé de tous les pays étudiés. Le souhait de bénéficier d’un coaching en matière de bien-être et de pleine conscience est également considérable, en particulier en Australie (27%) et aux États-Unis (25%).
Disparités dans les opportunités de formation
Il est particulièrement inquiétant de constater que les opportunités d’apprentissage et de montée en compétence liées à l’IA ont été jusqu’à présent principalement offertes aux cols blancs. Notre enquête a révélé que si 13% des personnes interrogées ont bénéficié d’opportunités de formation au cours des 12 derniers mois, seuls 6% des cols bleus ont quant à eux reçu de telles possibilités. De manière plus globale, 41% des cols bleus n’ont bénéficié d’aucune forme de formation sur la même période, contre seulement 20% des cols blancs.
À mesure que progressera l’automatisation des tâches, les travailleurs n’ayant pas reçu de formation adéquate courront le plus grand risque de perdre leur emploi. Même si l’IA est souvent considérée comme un domaine réservé aux professionnels hautement qualifiés, force est de constater que tous les salariés peuvent avoir besoin d’acquérir certaines compétences liées à l’IA dans le cadre de leur travail et pour évoluer sur le marché de l’emploi. Par exemple, les mécaniciens automobiles ont dû acquérir des compétences numériques dans la mesure où la technologie est de plus en plus intégrée dans les systèmes d’exploitation des véhicules.
Selon le Forum économique mondial, le marché mondial du travail connaîtra un taux de rotation de 23% dans les 5 prochaines années. Les travailleurs exerçant des professions à haut risque d’automatisation sont confrontés à un avenir incertain. Toutefois, avec un plan de formation approprié et des politiques efficaces de mobilité interne, ces salariés peuvent être en mesure de trouver rapidement un nouveau poste correspondant à leurs compétences récemment acquises. Nos données montrent que la main-d’œuvre mondiale attend des employeurs qu’ils l’aident à rester pertinente dans une économie très dynamique, avec plus d’un tiers (37%) des travailleurs prêts à quitter leur emploi dans les 12 prochains mois si leurs attentes en matière d’apprentissage et de montée et en compétence ne sont pas satisfaites. Les membres de la génération Z sont particulièrement déterminés à obtenir un plan de formation adéquat, sans lequel 47% se disent prêts à quitter leur entreprise.
Accompagner les travailleurs en phase de transition
Nos données montrent que la prolifération d’outils dotés d’IA va modifier l’avenir du travail de manière profonde et irréversible. Le fait que les travailleurs soient plus enthousiastes que craintifs à l’égard de cette technologie est un indicateur positif de la volonté de la société d’adopter l’IA et tous les avantages qui en découlent. Cette transition requiert toutefois un accompagnement important de la part des employeurs afin de s’assurer que les salariés concernés sont préparés à effectuer d’autres types de travail ou qu’ils bénéficient d’une aide à la réorientation professionnelle. Pour y parvenir efficacement, il convient de tenir compte de 3 facteurs essentiels :
La gestion du changement
L’adoption efficace d’une technologie dépend de l’aisance avec laquelle les personnes travaillent avec de nouveaux outils. La courbe d’apprentissage, les craintes de perte d’emploi et la pression pour être plus productif lors de l’utilisation de l’IA peuvent sembler particulièrement décourageantes pour les non-initiés. Les employeurs doivent communiquer en détail les avantages de l’automatisation – effectuer le travail de manière plus efficace, réaliser les tâches plus rapidement et obtenir une meilleure qualité de travail – afin de susciter l’intérêt de leurs collaborateurs. Il convient également d’être clair sur les attentes et de fixer des objectifs et des délais réalistes.
L’apprentissage et la montée en compétence
Une grande partie des ressources nécessaires à l’adoption d’une nouvelle technologie doit être allouée à la formation des travailleurs. L’IA permet d’éliminer les tâches répétitives ce qui doit permettre aux salariés de se concentrer sur des tâches à plus grande valeur ajoutée telles que l’établissement de relations interpersonnelles, la résolution de problèmes et la création. Ces derniers doivent toutefois apprendre à exécuter efficacement de nouvelles tâches à l’aide d’outils d’IA. La mise en œuvre réussie d’une nouvelle technologie au sein d’une organisation n’est possible que si les collaborateurs qui l’utilisent sont formés de manière adéquate.
Le traitement du feedback des salariés
Pour que l’IA soit largement adoptée, il est essentiel que les travailleurs aient leur mot à dire sur la manière dont ils l’utilisent pour accomplir leurs tâches. Des enquêtes régulières, ainsi que la création de groupes de travail, peuvent aider à identifier les problèmes et les défis auxquels sont confrontés les salariés. Ils peuvent également permettre de dégager des pistes d’amélioration pour faciliter la mise en œuvre et l’utilisation de l’IA au sein de l’entreprise. De plus, lorsque les employés ont le sentiment de pouvoir influencer la manière dont la technologie est mise en œuvre dans l’environnement de travail, l’adhésion est plus facile à obtenir et la résistance au changement devient un obstacle moins difficile à surmonter.
Avec l’adoption rapide de l’IA dans de nombreuses organisations, les employeurs doivent faire preuve de détermination pour préparer leurs salariés aux changements à venir. Cela signifie qu’ils doivent élaborer une stratégie pour répondre à leurs besoins en matière d’apprentissage et de montée en compétence. Dans la mesure où les travailleurs s’attendent à ce que l’IA contribue de manière positive à leur carrière, les organisations bénéficient d’une opportunité unique de répondre aux ambitions de leurs collaborateurs.