L’heure est à la transparence dans bien des domaines. Sur le plan salarial, la législation évolue et vise à lutter contre la discrimination en matière de rémunération et à contribuer à combler l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’UE. Mais les entreprises sont-elles prêtes ? En quoi cette transparence peut-elle faire évoluer les mentalités ? Randstad fait le point.
Le chiffre est édifiant. Seuls 13% des salariés français déclarent que leur entreprise divulgue en interne les échelles salariales selon une étude Figures, l’application de rémunération en temps réel. Ce manque de transparence fait partie des principaux arguments des défenseurs de plus d’égalité entre les hommes et les femmes. Car dans le même temps, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes restent importants, atteignant une moyenne de 13% au sein de l’Union européenne, selon le Parlement européen.
Dans ce contexte, la législation et la jurisprudence évoluent vers plus de transparence afin de réduire ces écarts. Après la loi Sapin II sur la rémunération des dirigeants et l’index sur l’égalité hommes et femmes, le Parlement européen a adopté une directive prônant la transparence salariale et prévoyant des amendes en cas de discrimination liées au salaire. Il impose la fin du secret salarial et inverse la charge de la preuve en matière de justice désormais du côté de l’employeur.
Cette décision intervient peu après une nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation du 8 mars 2023, selon laquelle les femmes peuvent exiger de leur entreprise qu’elle fournisse la fiche de paie des collègues masculins occupant des postes de niveau comparable au leur. «Les femmes, même au plus haut niveau, fonctionnent au mérite, rappelle Emmanuelle Gagliardi, coach accompagnant les femmes souhaitant “pulvériser le plafond de verre”. Mais on n’obtient pas ce qu’on mérite aujourd’hui, mais ce qu’on demande. Et les femmes n’osent pas négocier. Ces nouvelles législations vont dans le bon sens pour leur donner des outils vers une égalité salariale ». D’autant plus que Figures démontre que plus une entreprise est transparente sur sa politique de rémunération, plus les écarts salariaux diminuent.
Une meilleure harmonie dans l’entreprise
La transparence des salaires contribue en effet à créer un environnement propice à l’équité. Lorsqu’elle est associée à une grille de salaires, elle encourage le collectif et permet aux collaborateurs d’être plus concentrés sur leur travail et donc plus productifs. Les échanges se recentrent sur des critères comme la contribution à l’entreprise, les compétences et les rôles de chacun.
L’entreprise éditrice de logiciels Lucca a opté pour la transparence tant sur le plan des salaires que des décisions dès sa création, il y a 21 ans. D’ici à fin 2025, elle projette d’employer 900 collaborateurs contre 550 aujourd’hui. Et la direction assure que la question d’égalité salariale y est pour quelque chose. « Adopter la transparence globale est une solution plus simple, plus saine, car elle permet une meilleure harmonie et pose les hommes et les femmes au même niveau, souligne Charles de Fréminville, Chief Human Resources Officer de Lucca. Sans compter que c’est une politique au caractère attractif pour les candidats ».
Une politique rh plus attractive
« Beaucoup d’entreprises ne savent pas qu’indiquer simplement la rémunération sur la fiche de poste permet d’attirer plus de femmes, complète Juliette Delas, Head of SMEs & Community Builder chez 50inTech. C’est une solution pour elles afin d’éviter de devoir négocier ou de voir leurs salaires stagner après une grossesse. C’est aussi un moyen de se rassurer en postulant dans une entreprise qui envoie des signes extérieurs positifs ».
Chez Randstad, la décision d’afficher la rémunération dans l’ensemble des annonces d’emploi figurant sur les sites internet du groupe avait été prise quelques mois avant la publication de la directive européenne. S’il a fallu en convaincre certains, le résultat a été sans appel. « Le salaire est le critère numéro un des candidats, rappelle Claire Grisolia, Directrice marketing digital, Expérience client et Opérations talents chez Randstad. Afficher le salaire sur les offres d’emploi permet de capter des candidats plus qualifiés et qui savent dans quoi ils s’engagent. Avec à la clé moins de perte de temps du côté de l’entreprise comme du candidat ».
Accepter d’objectiver les inégalités
Mais la question de la transparence ne doit pas se limiter à la question salariale et doit s’inscrire pour réussir dans une volonté de créer une entreprise plus vertueuse. Et donc plus attractive. « Faire l’autruche n’est plus possible aujourd’hui, souligne Élise Penalva Icher, Professeur des universités en sociologie à l’université Paris-Dauphine. La transparence salariale est nécessaire, mais il faut l’accompagner de politiques publiques fortes et d’actions concrètes de la part des entreprises ».
Les entreprises qui défendent cette posture avouent que la route est longue et sinueuse. Il faut lutter contre les préjugés, faire bouger les lignes auprès des collaborateurs. « Et surtout objectiver des situations inégalitaires qu’il convient de gommer par différents dispositifs comme la catégorisation des postes et la grille de salaires », confie Élise Penalva Icher, également auteure de “La frustration salariale : à quoi servent les primes ?” aux Sorbonne Université Presses.
La transparence des salaires peine ainsi encore à s’installer dans les entreprises, souvent par méconnaissance ou manque de méthodologie. Elles ont pourtant tout à gagner, notamment en termes de recrutement et d’équité, en assurant une information claire dès l’offre d’emploi.