Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 15 % des métiers techniques du secteur du numérique. La mixité est pourtant indispensable à un développement réussi de l’usage des technologies. Le numérique sans les femmes ? Une perspective « ni envisageable ni acceptable », pour Peggy Vicomte, Déléguée Générale Femmes@Numérique. Interview.
Quelle est la raison d’être de Femmes@Numérique ?
L’ambition de notre fondation, présidée par Madame Élisabeth Moreno, est de promouvoir la place des femmes dans le numérique, dans l’optique de répondre à trois enjeux. Le premier est économique : les entreprises manquant cruellement de compétences, régler la question de la sous-représentation des femmes dans ces métiers permettrait de résoudre en partie le problème ! Le deuxième enjeu est social, car le numérique peut constituer un facteur d’insertion, d’émancipation et d’autonomie pour les femmes. Quant au troisième enjeu, il est sociétal : la sous-représentation des femmes dans le numérique induit des biais dans la conception même des outils et solutions. Or le numérique transforme notre société. Cela renvoie à une question profonde : voulons-nous pour l’avenir un modèle de société conçu majoritairement par et pour les hommes ?
Beaucoup d’actions ont été menées depuis une dizaine d’années pour féminiser le secteur du numérique. En quoi votre démarche est-elle différente ?
Notre démarche volontariste est précisément née d’un constat d’échec : malgré toutes les actions menées, les femmes n’occupent toujours pas plus de 30% des postes dans le numérique, dont la moitié dans des fonctions supports. Femmes@Numérique, créé en 2018 à l’initiative de six associations (l’Association française des managers de la diversité – AFMD, le Cigref, la Conférence des Grandes Ecoles, Social Builder, Talents du Numérique et le Syntec Numérique), veut être un « game changer » : nous souhaitons accompagner le passage à l’échelle d’actions qui ont prouvé leur pertinence. Par exemple, dans l’un de nos premiers appels à projets, nous avons sélectionné « Parallaxe 2050 », un escape game pédagogique imaginé par le CMQ Numérique Drôme Ardèche, dont l’objectif est de donner envie aux filles de s’orienter dans les filières du numérique. Notre soutien a permis de déployer ce dispositif auprès de collégiennes et lycéennes dans de nombreuses académies en France. Cet exemple illustre bien notre philosophie, qui est de repérer des actions, de leur donner une impulsion globale sur l’ensemble du territoire, puis de les pérenniser.
Quels publics visez-vous ?
Nous voulons sensibiliser massivement le plus grand nombre : les organisations publiques et privées, les entreprises, les pouvoirs publics, les acteurs de la formation et de l’enseignement, le grand public… Notre collectif d’une centaine d’associations partenaires et d’une quarantaine d’entreprises mécènes est une force en ce sens. Si l’on veut changer les choses, il faut le faire avant les choix d’orientation, c’est-à-dire avant la classe de 3e. Trop de jeunes filles sont encore prisonnières de stéréotypes qui les empêchent de se projeter dans les métiers techniques et scientifiques, en particulier ceux du numérique. En classe de terminale, elles ne représentent que 10 % des effectifs de la spécialité NSI (Numérique et Sciences informatiques) ! Il existe une forme d’autocensure, qui est d’ailleurs bien mise au jour dans le rapport du Haut Conseil à l’Égalité publié en novembre 2023, « La Femme invisible dans le numérique », auquel nous avons contribué : il révèle par exemple que seules 33% des filles sont encouragées par leurs parents à se diriger vers des métiers du numériques, contre 61% des garçons. Sans une politique volontariste, nous ne rétablirons pas l’équilibre. Nous travaillons par exemple avec Isabelle Collet, informaticienne et sociologue, sur les rôles modèles, ces figures d’identification qui peuvent constituer une source d’inspiration et contribuer à casser les stéréotypes de genre.
Quelles sont jusqu’à présent vos plus belles réussites ?
J’en retiendrai deux : la sensibilisation de plus de 25 000 élèves au numérique à travers les projets financés dans le cadre de la Fondation depuis 5 ans, et les Assises nationales de la féminisation des métiers du numérique, dont la première édition a eu lieu en février 2023. Il en est ressorti un plaidoyer avec 15 propositions concrètes pour faire évoluer ou amplifier les politiques publiques dans les champs de l’éducation, l’orientation, la formation professionnelle, l’emploi et l’insertion. L’une de ces propositions, consistant à accompagner 10 000 jeunes filles vers les métiers du numérique, constitue les prémices d’un programme figurant dans le plan gouvernemental égalité Toutes et Tous Egaux.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il s’agit du programme « Tech pour toutes », dont le lancement a été annoncé en juin 2023 lors du salon Vivatech par la première ministre Elisabeth Borne. Animé par la Fondation INRIA, en lien étroit avec ses partenaires fondateurs Femmes@Numérique, France Université, CDEFI, CGE, il permettra à ces jeunes filles de commencer ou de poursuivre des études supérieures dans le numérique, en s’adaptant aux besoins de chacune : découverte des métiers dès le collège, accompagnement individuel et coaching, mentorat, appui à la recherche de stage ou premier emploi, ou encore aide financière et matérielle. S’il est suffisamment doté financièrement, c’est un programme structurant pour l’avenir.