Rencontre avec Bernard Streit, président de l’association « Action Philippe Streit » et personnalité résolument engagée en faveur de la mise en emploi des personnes en situation de handicap.
L’association « Action Philippe Streit » est née en 2019 d’une promesse : celle faite par Bernard Streit à son frère Philippe, atteint d’un cancer qui devait l’emporter, de « faire quelque chose » pour les personnes en situation de handicap. Quatre ans plus tard, un véritable écosystème se développe en territoire rural, à Anteuil (600 habitants) dans le Doubs (25).
Comment votre initiative est-elle née ?
C’est une longue histoire d’entreprenariat et de liens personnels avec la réalité du handicap. En 1954, mon père a créé une petite entreprise de plastification de documents pour assurer le travail d’une de ses sœurs, atteinte de poliomyélite. Après mon service militaire, j’ai rejoint l’entreprise familiale à la demande de mes parents, car ils souhaitaient sécuriser l’avenir de mon frère Philippe, né handicapé et qui n’a jamais pu apprendre à lire ni à écrire, en lui assurant une place pérenne dans l’entreprise. Je n’étais pas destiné à devenir dirigeant mais cette responsabilité m’a fait grandir. Au fil du temps, l’entreprise Delfingen a pris un virage stratégique en se spécialisant dans l’équipement automobile et s’est internationalisée. Elle compte aujourd’hui près de 4 000 collaborateurs et une trentaine d’usines dans le monde. Pendant toutes ces années, j’ai constitué un capital pour mon frère, au cas où je mourrais avant lui. Mais il est tombé malade et, en 2017, peu avant son décès, je lui ai demandé ce qu’il voulait faire de son argent : « Je voudrais que tu fasses quelque chose pour les gens comme moi », m’a-t-il répondu spontanément. Ça oblige… J’avais à l’époque plus de 65 ans et j’étais en train de passer les rênes de l’entreprise à mon fils. Je découvrais aussi à quel point le milieu rural avait été abandonné pendant les trente années où j’avais sillonné le monde. J’ai donc réfléchi avec des anciens collègues et amis à un projet qui allie handicap, emploi, santé-rééducation, sport et ruralité. Ce projet devait devenir l’« Action Philippe Streit », un écosystème qui allait héberger une première structure, VIPP & Philippe, une entreprise adaptée au service de la relation client. J’ai présenté mon idée au niveau départemental : elle a été jugée bonne mais irréalisable en milieu rural. Il n’en fallait pas plus pour redoubler ma détermination à mener à bien ce projet !
De quelle manière l’écosystème s’est-il formé ?
L’association « Action Philippe Streit » a vu le jour en mai 2019. Le patrimoine de mon frère a servi à financer l’achat d’un bâtiment industriel au sein duquel nous avons installé les locaux de l’entreprise adaptée VIPP & Philippe. Nous avons acheté deux véhicules afin d’offrir un service de navette aux salariés et nous mettons à leur disposition 3 appartements, le temps qu’ils trouvent à se loger. Le logement et la mobilité sont en effet deux freins majeurs à l’emploi en milieu rural, plus encore pour les personnes en situation de handicap. Les premières briques de l’écosystème étaient alors posées.
VIPP & Philippe a grandi et vous ne vous êtes pas arrêté là…
Quand nous avons dépassé les 60 salariés, la commune, la communauté de communes, le département et la région nous ont en effet accordé des subventions. Elles nous ont permis de développer l’écosystème, en y apportant une offre de restauration, un accès à la culture et un pôle santé. Nous venons par exemple d’investir dans un centre médico-sportif avec deux kinésithérapeutes, un bassin de rééducation, une psychologue, un hypnothérapeute, bientôt une sage-femme, deux médecins généralistes et peut-être un dentiste…
Ce centre est-il réservé aux collaborateurs ?
Non, et c’est toute l’originalité de notre action : l’ouverture vers l’extérieur. De nombreuses personnes qui n’avaient quasiment plus accès aux soins dans le territoire bénéficient aujourd’hui de ce centre. Toujours dans cette idée de tiers-lieu ouvert et de revitalisation du milieu rural, l’association, avec l’aide de la CAF, a aménagé une partie du bâtiment pour accueillir une crèche, la Compagnie d’Arthur, qui réserve trois places à des enfants porteurs de handicap. L’écosystème s’est par ailleurs enrichi de la présence en 2022 d’une agence Kliff par Randstad, spécialisée dans le recrutement de personnes reconnues travailleurs handicapés. Cette année, nous lançons un organisme de formation à la maroquinerie, Pass’Phil, ainsi qu’une entreprise adaptée, manufacture pour l’industrie du luxe, baptisée Lyss.
Comment résumeriez-vous l’ambition portée par votre écosystème ?
Nous souhaitons faire de chaque personne en situation de handicap un contribuable, en lui donnant accès à l’autonomie, avec bienveillance, patience et exigence. La réussite, pour moi, est de faire des choses extraordinaires avec des personnes ordinaires ! Notre objectif est de permettre la création à Anteuil de 240 emplois pour des personnes porteuses de handicap d’ici 2026.
D’autres territoires ruraux pourraient-ils s’inspirer de votre modèle ?
Oui, je pense qu’il est tout à fait possible de dupliquer à terme ce modèle. Je me réjouis par avance des futurs écosystèmes de ce type qui verront le jour, je l’espère, dans toute la France. Plus que l’intelligence, c’est la volonté chevillée au corps qui permet de mener à bien les projets.