le 9 janvier 2025
Pourquoi recruter des neuroatypiques peut améliorer la performance de l’entreprise ?

DYS, Asperger ou HPI…derrière ces profils se cachent des personnalités au fonctionnement cérébral différent. Ces collaborateurs “neuroatypiques” ou “neurodivergents” représentent des sources de productivité intéressantes pour les entreprises qui sont de plus en plus nombreuses à les accueillir au sein de leurs équipes, non sans difficultés ou éventuels freins.

« Les entreprises ne le savent pas encore, mais elles comptent parmi leurs effectifs de précieux talents qui ne sont pas assez valorisés ». Ces talents, ce sont les profils neuroatypiques selon Pierre Escaich, à la tête du programme Neurodiversité chez Ubisoft. S’il sait bien de quoi il parle, puisqu’il en est un, cet homme estime que, face aux mutations de la société, les profils DYS, Asperger, HPI,…, doivent être davantage considérés par les entreprises pour leurs potentiels encore trop souvent inexploités.

Selon les données du Forum Economique mondial sur l’avenir de l’emploi publiées en 2023, plus la technologie prendra en charge certaines tâches à moindre valeur ajoutée, plus les entreprises auront intérêt à recentrer leurs recrutements sur des talents disposant de compétences non techniques, comme la pensée créative, la pensée analytique ou encore la flexibilité et l’agilité. 

 

Des écarts sur les perceptions des profils atypiques

Si ces compétences sont d’ores et déjà très demandées, elles viennent à manquer dans le cadre de recrutement dit traditionnel, et les entreprises n’investissent pas toujours sur les potentiels en interne. Une étude menée par Randstad Entreprise et Made By Dyslexia démontre que si près des deux tiers des responsables des ressources humaines déclarent que leur processus de recrutement est capable d’identifier les candidats dyslexiques, 96% de ces derniers estiment que ce processus ne vise pas à identifier leurs compétences spécifiques. 

Ce différentiel de perception s’explique entre autres par le fait que les personnalités DYS, HPI ou Asperger ne connaissent pas toujours leurs spécificités, mais surtout qu’elles ont toujours eu tendance à se cacher et s’adapter à l’entreprise. « Les neuroatypiques se cachent pour survivre, car notre société n’est pas en capacité d’entendre et d’accepter cette différence de mode de fonctionnement, explique Pierre Escaich. L’autisme et le TDAH sont associés à des éléments négatifs, des manques ou des difficultés de comportement qui peuvent décourager l’entreprise à s’appuyer sur ces profils malgré leurs talents réels ».

 

Des compétences adaptées à l’évolution de la société 

Cette suradaptation est pourtant plus difficile pour d’autres profils qui passent leur temps à sortir de leur zone de confort et développer des stratégies pour “entrer dans le cadre”. Demander à une personne qui présente un trouble autistique par exemple de prendre la parole en public alors que cela lui est très difficile va lui prendre trop d’énergie pour qu’elle puisse ensuite reprendre son travail de manière efficace. 

Dans un monde où l’incertitude et le besoin de créativité vont croissants, les profils neurodivergents représentent un vivier précieux de talents pour les entreprises, qui pourraient les recruter pour leurs forces et non ce qui est vu pour des faiblesses dans la pensée collective. « Le fonctionnement des profils HPI correspond bien à l’évolution de notre société, mais les entreprises n’en ont pas forcément conscience », précise Cyril Barbé, coach consultant spécialisé en inclusion de la neurodiversité au sein d’Apollo Conseil. Celui qui accompagne des entreprises pour gagner en performance l’assure : « Leur vitesse pour réfléchir, pour comprendre le monde est très pertinente pour répondre aux enjeux de notre société qui va toujours plus vite. Leur fonctionnement cérébral en arborescence se traduit par un très grand éclectisme, qui fait d’eux de grands créatifs et innovateurs ».

Chez Ubisoft, Pierre Escaich constate qu’on retrouve une surreprésentation de dyslexiques chez les artistes grâce à leur force de visualisation en 3D et leur pensée en images, une surreprésentation d’autistes dans la programmation et la data science ou encore des profils TDAH dans les fonctions support.

Des atouts de productivité

Ces profils atypiques sont à l’origine de l’industrie du jeu vidéo. Dans d’autres secteurs, le recours à la neurodiversité peut constituer un atout. Le rapport “Future of Jobs” montre que les penseurs dyslexiques ont d’importantes capacités dans des domaines tels que la découverte, l’invention et la créativité. En 2022, LinkedIn a d’ailleurs ajouté Dyslexic Thinking en tant que compétence. De leur côté, les profils Asperger sont réputés plus fiables que les autres collaborateurs pour suivre un processus.

« Toutes les organisations ont besoin de faire travailler ensemble des personnes qui pensent différemment, souligne Pierre Escaich. En termes de productivité, dans un monde économique incertain et instable, permettre à tous les salariés d’exprimer leur plein potentiel est essentiel ». 

 

La nécessité de former et de sensibiliser

Pour parvenir à cette neuro-inclusion, encore faut-il valoriser l’ouverture de l’entreprise sur ces sujets et sensibiliser ses équipes sur ce qu’est la neurodiversité. Cela passe par la compréhension de ce que chacun peut apporter à l’entreprise. « Il faut comprendre comment chacun peut travailler ensemble, assure Pierre Escaich. Il faut mettre des postes derrière des personnes et non l’inverse ». 

Dans le recrutement, certains experts suggèrent de faire passer des tests mettant en valeur les soft skills pour détecter un certain nombre d’éléments de la personnalité. « La question de la détection et du recrutement est posée, car il est impossible de proposer un test de QI qui pourrait être discriminatoire, souligne Cyril Barbé. Pour attirer ces profils, l’entreprise doit montrer qu’elle est réellement engagée dans une démarche d’ouverture et de diversité ».  

À l’instar d’Ubisoft, le groupe Orange a développé un programme intitulé Neuroteam pour faire de la diversité cognitive un atout de performance et de bien-être au travail. D’autres y travaillent aussi. Côté sensibilisation, une formation professionnelle a été développée par des experts de Made By Dyslexia et dans le cadre de LinkedIn Learning pour autonomiser la réflexion dyslexique sur le lieu de travail et s’assurer que les entreprises sont prêtes pour l’avenir. Randstad Enterprise, EY, un certain nombre d’entreprises du groupe Virgin (dont Virgin Money et Virgin Red) et LinkedIn se sont déjà engagées à mettre la formation à la disposition de tous les salariés.