Les problèmes liés à la santé mentale ont des conséquences lourdes sur les salariés comme sur l’entreprise. A l’heure où de nombreux acteurs se mobilisent pour en faire la grande cause nationale de 2025, la santé mentale est une priorité des employeurs et des collaborateurs engagés et désireux de faire bouger les lignes.
Burn-out, rapports sociaux dégradés, dépression… Les études se multiplient et alertent toutes dans le même sens. Près d’un salarié sur deux est dans un état de santé mentale sous-optimal, selon la plateforme Teale. La détresse psychologique touche désormais 48% des salariés, dont 17% de manière très élevée, pointe le cabinet Empreinte Humaine. L’absentéisme dû au mal-être psychologique, même chez les managers, augmente notamment dans les petites entreprises, d’après une étude Malakoff Humanis. Or, comme le rappelle l’OMS, » il n’y a pas de santé sans santé mentale ».
La santé mentale, moteur professionnel
« S’il y a toujours eu du mal être en entreprise, il s’est clairement accru avec la crise covid, période pendant laquelle les collaborateurs ont recentré leurs priorités sur autre chose que leur activité professionnelle, note Tien Christophe Nguyen, psychologue et Président du cabinet Empreinte Humaine. Il y a une prise de conscience des salariés qu’on ne peut plus travailler comme le faisaient nos aïeuls. Les collaborateurs sont plus exigeants et la prise en compte de leur santé mentale devient un vrai moteur professionnel ».
Et les salariés eux-mêmes s’emparent du sujet. Selon l’étude Randstad Workmonitor 2024, 91% des salariés français considèrent l’attention portée à la santé mentale comme un facteur important dans le choix d’un employeur. Pour autant, ils ne font pas peser la responsabilité de cette prise en charge uniquement sur l’entreprise. 40% d’entre eux conviennent que prendre soin de leur santé mentale ou renforcer leur motivation au travail leur incombe directement. Les formations au bien-être et à la pleine conscience sont d’ailleurs les thématiques les plus recherchées au sein des entreprises françaises (31%) devant les technologies de l’information (27%) et l’intelligence artificielle (25%). Pour autant, 6 Français sur 10 estiment que leur employeur a une responsabilité dans la préservation de leur santé mentale, qu’elle soit exclusive (20%) ou partagée avec le salarié (40%). La plupart des collaborateurs misent donc sur un partenariat direction / salariés pour améliorer la prise en compte de ce sujet dans l’entreprise.
Améliorer le bien-être collectif
« Les collaborateurs n’accusent pas l’entreprise, mais savent que l’accumulation d’une connectivité massive, de frontières vie professionnelle et vie privée effacées, de transformation du travail et d’un environnement professionnel stressant conduisent à une hausse des difficultés », assure Pierre-Etienne Bidon, co-fondateur de Moka.care. L’entreprise a pour ambition de donner des clés aux RH pour anticiper les risques psychosociaux inhérents à leur organisation, cultiver la résilience de leurs équipes face au stress et réagir de façon adaptée aux situations d’urgence. Elle compte parmi ses clients de grands groupes comme L’Oréal, Allianz, mais aussi des start-ups.
Certains collaborateurs décident même de se former sur le sujet pour améliorer le bien-être collectif dans l’entreprise. Chez CGI France, une filiale d’un groupe informatique canadien, des salariés investissent le champ de la santé mentale. Le groupe compte 112 Mental Health Champions en France. Des salariés formés consacrent ainsi une partie de leur temps de travail pour participer à la prévention de la santé mentale des collaborateurs.
Prévenir plutôt que guérir
Venues d’Australie, des formations de premier secours en santé mentale se développent en France depuis cinq ans. L’objectif est d’approcher la personne en souffrance, l’écouter activement et sans jugement, la réconforter, l’encourager à aller vers un professionnel et enfin, la renseigner sur les autres ressources disponibles (comme les groupes de soutien ou le numéro 3114). Au total, près de 97 000 personnes, dont des DRH, des représentants du personnel ou encore des médecins du travail, se sont formées selon le ministre de la Santé. Pour Tien Christophe Nguyen, il faut être vigilant sur ce type de formation. « N’importe qui ne peut pas rentrer dans la psychologisation à outrance. Il faut une vraie culture de prévention où chacun a un rôle défini. On ne peut pas faire des copier-coller, car en France on n’a pas une culture de prévention, comme en Australie ».
C’est d’ailleurs sur cette prévention que l’accent doit être mis selon les analystes et les professionnels de la santé mentale. « Trop d’entreprises réagissent une fois que le mal est fait », alerte Benjamin Saviard, à la tête d’ICAS France et expert de la prévention des risques psychosociaux. L’organisme propose un service de prévention précoce EAP (employee assistance program), qui apporte soutien, conseil et assistance à tous les salariés et membres du foyer fiscal via des services de soutien par téléphone et également des séances en cabinet lorsque c’est nécessaire.
Prise en compte versus prise en charge ?
« Une hôtesse de l’air qui subit une agression sur un vol souffre de stress post-traumatique, assure-t-il. Lui permettre d’en parler et de suivre une thérapie courte type EMDR (psychothérapie par mouvement oculaires qui cible les mémoires traumatiques) va lui faciliter la vie et elle pourra être bien plus efficace qu’en restant avec sa difficulté ». De même, un collaborateur qui à un souci juridique sera bien plus productif une fois qu’on lui aura retiré cette préoccupation.
Tien Christophe Nguyen tempère néanmoins. « Les entreprises ne doivent pas se tromper d’actions. Se préoccuper de la santé mentale des collaborateurs n’est pas s’occuper de leur vie privée. Elles doivent prendre en compte le sujet de préoccupation d’un salarié, sans le prendre en charge ».
Une politique de prévention à définir
Côté entreprise, si la prise en compte de la santé mentale fait partie des obligations légales, la mise en œuvre d’actions concrètes diffère largement selon leur degré de maturité sur le sujet. Sur le plan européen, la quasi-intégralité des DRH fait du sujet une préoccupation majeure et entend mettre en place des actions d’ici à 2025. « Le niveau de prise en compte du sujet est très lié à la culture de l’entreprise, notamment dans les pays anglo-saxons ou au Brésil, explique Pierre-Etienne Bidon. Là-bas, parler de sa consultation psy à table n’est pas tabou comme en France ».
Chez Saint-Gobain, par exemple, le programme national de sensibilisation #jeprendssoindemoi vise à distiller les bons réflexes en matière de bien-être aux salariés. L’entreprise propose également aux managers un dispositif pour agir en amont sur la qualité de vie au travail. D’autres ont recours à des entreprises innovantes regroupées au sein de l’association Mental Tech France, créée en 2021 et dont la vocation est de porter haut et fort l’idée que la technologie est un levier pour sortir de l’impasse de la santé mentale. Des applications comme Qare, Kwit ou Cephalgo, peuvent venir en aide aux collaborateurs.
La nécessaire transformation des cultures d’entreprise
« On remarque que plus la proportion de cols blancs est importante dans l’entreprise, plus la santé mentale est considérée comme un sujet majeur, précise Pierre-Etienne Bidon. De même, plus le salaire moyen est élevé, plus le coût de l’absentéisme est élevé et nécessite de mettre des moyens pour y pallier ».
Benjamin Saviard pointe la tendance bloquante des lois françaises qui empêchent le caractère innovant de l’entrepreneur. « Les entreprises devraient mettre en place de vraies gouvernances de la santé mentale pour inculquer une réelle culture de prévention sur le sujet ». Selon Tien Christophe Nguyen, développer une culture de prévention passe par une action sur la source professionnelle des difficultés des salariés. Elle doit viser à supprimer le problème, via la création d’un comité de pilotage pour s’en saisir, un plan d’action à déployer puis une communication. Moka.care propose trois niveaux de prise en charge : de la compréhension globale des RH et des collaborateurs à une méthode d’autodiagnostic et de formation, jusqu’à la mise en place de plans précis face à des situations de crise.
Dire qu’il y a urgence ne semble pas exagéré. Teale estime le coût de la santé mentale en France à 3000 euros par an et par salarié. Son co-fondateur, Geoffroy Verzat, l’assurait récemment : les entreprises doivent transformer leur culture et leurs méthodes de management en interne pour favoriser le bien-être de leurs salariés.