Pour la première fois depuis 50 ans, l’objectif du plein emploi n’est pas un horizon chimérique. Quels défis reste-t-il à relever et comment les entreprises peuvent-elles s’engager pour remporter la bataille ? Le 24 octobre 2022, chefs d’entreprises et experts ont partagé leur expérience lors d’une matinée de réflexion organisée à Paris par Randstad. L’événement, suivi par des centaines de personnes en présentiel et en distanciel, s’est déroulé avec la participation exceptionnelle d’Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion.
« Depuis quelques mois, le chômage n’est plus une fatalité : le plein emploi est à portée de main. » En introduction de cette matinée organisée en partenariat avec News Tank RH et le groupe IGS, François Moreau, secrétaire général du groupe Randstad France, a souligné le moment exceptionnel que vit l’économie française, confrontée depuis des décennies au chômage de masse. La situation change et le cap du plein emploi, désormais atteignable, est fixé par le président de la République, Emmanuel Macron, d’ici la fin de son second quinquennat. Pourtant, les tensions sur le marché de l’emploi existent : beaucoup d’entreprises ont encore du mal à recruter, quelle que soit leur taille, leur secteur d’activité, leur localisation et les métiers à pourvoir. Un paradoxe, avec un taux de chômage à 7,4 % et des viviers bien identifiés, tels que : les jeunes, notamment ceux qui ne sont ni en emploi ni en formation, les seniors, qui ont le potentiel de rester actifs plus longtemps dans l’entreprise, et les bénéficiaires du RSA. L’action conjuguée des pouvoirs publics et des entreprises constitue sans doute la clé pour lever les dernières barrières au plein emploi.
Cap sur le plein emploi : les 8 leviers du gouvernement
Avant de détailler les chantiers ouverts par son ministère, Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion, a rappelé trois chiffres significatifs : le taux d’emploi des 15-64 ans est au plus haut depuis 50 ans, à 68 % ; ces cinq dernières années, le taux de chômage en France est passé de 9,5 à 7,4 % ; et sur la même période, l’économie française a créé plus de 1,5 million d’emplois, dont 830 000 depuis le début de la crise du Covid. Malgré le contexte d’inflation et de tensions sur le marché de l’énergie, le gouvernement reste optimiste quant à sa trajectoire vers le plein emploi – un chômage autour de 5 % – d’ici la fin du quinquennat : « Nous avons déjà fait la moitié du chemin ces 5 dernières années. »
Pour accomplir la seconde moitié du chemin, l’action du ministère, en lien avec les partenaires sociaux, se déploie dans 8 domaines :
- La réforme de l’assurance chômage, dont l’un des enjeux est de moduler la durée maximale d’indemnisation en fonction de l’état du marché du travail, avec des règles plus protectrices lorsque la situation se dégrade mais plus incitatives à la reprise d’un emploi dans le cas contraire. Les règles de gouvernance de l’assurance chômage devront aussi évoluer.
- La création de France Travail : il ne s’agit pas de créer «une superstructure » mais bien « d’améliorer la coordination des acteurs » en proposant une forme de guichet unique plus simple pour l’usager.
- L’accompagnement intensif des bénéficiaires du RSA, à hauteur de 15 à 20 h d’activité par semaine. « Nous avons devant nous un défi, souligne le ministre : plus nous irons vers le plein emploi, plus ceux que nous aurons à accompagner seront des personnes éloignées de l’emploi.»
- L’entrée des jeunes sur le marché du travail, à travers des dispositifs comme le Contrat Engagement Jeunes, porté par Pôle emploi et les missions locales, avec un objectif de 300 000 contrats d’ici fin 2022.
- La poursuite du développement de l’apprentissage, avec l’objectif de 1 million de contrats par an d’ici 2027.
- La poursuite de la réforme de la formation professionnelle, en optimisant notamment le recours au CPF.
- L’emploi des seniors : si la puissance publique peut accompagner ce sujet, les clés, selon Olivier Dussopt, sont essentiellement entre les mains des employeurs et des recruteurs, notamment via un accès à la formation qui doit continuer d’être assuré dans la dernière partie de la vie professionnelle.
- Les conditions de travail, en particulier la santé et la sécurité au travail, dans un pays où 600 personnes meurent encore chaque année au travail – un chiffre qui ne baisse pas depuis 15 ans : «Nous avons l’obligation morale de rouvrir ce chantier. »
Des initiatives originales en faveur de l’emploi
Les initiatives de la part des entreprises et du milieu associatif ne manquent pas. La 1re table ronde de la matinée en a mis quatre en lumière. C’est à partir d’un constat simple que Bénédicte Durand, Directrice générale d’Altheora, a rejoint la communauté « Les entreprises s’engagent », dont elle est aujourd’hui leader du club ardéchois : « Pour surmonter les difficultés de recrutement, nous devons changer notre regard et notre manière de recruter. Aller chercher plus loin que les CV que l’on reçoit (ou que l’on ne reçoit plus, d’ailleurs !) avec d’autres dispositifs. » « Les entreprises s’engagent », une initiative lancée par Emmanuel Macron en 2018, regroupe aujourd’hui 60 000 entreprises en France. L’objectif est de renforcer les liens entre acteurs publics et privés pour favoriser l’emploi de tous, en identifiant des candidats auxquels les recruteurs ne pensent pas spontanément : des personnes en situation de handicap, des migrants, d’anciens détenus… Face à la pénurie de techniciens, tels que des peintres industriels, Altheora a choisi de promouvoir la formation, avec un CDD ou un CDI à la clé : « L’apprentissage est un levier fort pour nous, avec un passage de relais très intéressant entre les seniors et les jeunes. » L’entreprise s’attache également à travailler l’employabilité de ses collaborateurs, notamment via la VAE.
Développer l’employabilité interne, c’est aussi l’un des enjeux identifiés par Sodexo France, qui a mis en place trois dispositifs phares sur le sujet, comme l’explique Majda Vincent, Directrice des ressources humaines de Sodexo et membre de l’ANDRH : le programme de formation interne « Cuisinons ensemble », où des employés se forment au métier de cuisinier en binôme avec un parrain ; la détection de l’illettrisme via la ligne managériale, pour ne laisser personne en marge des possibilités d’évolution professionnelle offertes en interne (2 millions de personnes touchées en France, dont plus de la moitié en entreprises) ; et la création d’un « pôle ressources », composé de salariés désireux de bouger sur plusieurs sites et qui constituent un pool de remplaçants là où l’entreprise en a besoin, en cas d’absence ou de congés, pour une durée d’une semaine à 2 mois maximum.
Côté employabilité externe, l’inadéquation entre les besoins des entreprises et les viviers de candidats potentiels ne tient pas seulement à un manque de formation, souligne Laurent Grandguillaume, Directeur général adjoint de Freeland et Président d’honneur de l’association « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). Les blocages peuvent aussi tenir à des représentations managériales erronées. « On peut lever ces freins par des logiques d’inclusion », souligne l’ancien député de la Côte-d’Or. Avec une clé de succès : développer une culture de management inclusif. Et une condition : intégrer la nécessité du temps long. En 6 années d’existence, TZCLD s’est concentré sur la formation, la recherche, l’action et le partage. L’association a créé un organisme de formation dédié au management inclusif, un CRM facilitant l’embarquement de tous les territoires (38 actuellement, qui seront prochainement rejoints par 130 autres, en France et en Europe) et un observatoire qui se veut un espace de dialogue avec les universitaires, pour apporter un autre regard sur les problématiques d’insertion.
L’Institut des Vocations pour l’Emploi (LIVE), financé par LVMH, agit lui aussi en faveur de l’insertion professionnelle. Son public cible : les plus de 25 ans sans emploi ou sans formation depuis au moins un an. « En moyenne, les personnes que nous accompagnons ont 40 ans et 4 ans d’inactivité derrière elles, précise Olivier Théophile, Directeur général de LIVE. Leurs profils sont très divers mais elles ont un point commun : la volonté de construire un projet professionnel. » Et pour cela, LIVE accueille des promotions de 60 « Livers » pendant 18 semaines sur l’un de ses 3 campus (Clichy-sous-Bois, Valence et Roubaix), pour un accompagnement qui les mobilise 30 heures par semaine. Depuis 2019, l’institut a accompagné 500 personnes, avec 79 % de sortie dynamique : deux tiers vers un emploi, un tiers vers une formation. Les facteurs-clés de succès : un travail main dans la main avec les acteurs locaux des territoires pour identifier les candidats potentiels et un critère essentiel de sélection dans le dispositif : la maturité de la personne dans son envie de construire un projet professionnel.
Quelles préconisations pour fluidifier le marché de l’emploi ?
Les sujets de reconversion professionnelle et de secteurs en tension étaient au cœur de la 2e table ronde de la matinée. Pour Patrick Martin, Président délégué du Medef, le dispositif Transco doit aboutir à des solutions « beaucoup plus opérationnelles » sur un sujet « qui s’impose, à l’évidence ». Transco, ou Transitions Collectives, créé par les pouvoirs publics en 2021 en co-construction avec les partenaires sociaux, vise à permettre aux employeurs d’anticiper les mutations économiques de leur secteur et d’accompagner les salariés dans une reconversion vers un métier porteur dans leur bassin de vie. D’après une récente étude France Stratégie, 450 000 à 1 million d’emplois devraient être créés dans le secteur de l’aide à la personne d’ici 2030. À l’autre extrémité du spectre, d’autres secteurs périclitent : la question de l’orientation est donc centrale. « Nous devons faire un énorme effort de pédagogie auprès des jeunes et des personnes en poste pour les éclairer sur l’existant et le devenir des métiers et des filières », prône Patrick Martin.
« L’anticipation est un point clé de Transco et l’entreprise doit pouvoir aider ses salariés en termes d’orientation », confirme Myriam El Khomri, Directrice du Conseil de SIACI-SAINT-HONORÉ et ancienne ministre du Travail. Comment ? En organisant par exemple la découverte de métiers, à travers des « Vis ma vie ». 60 % des salariés aimeraient se reconvertir mais seulement 30 % y parviennent. « Dans un pays où la formation initiale pèse beaucoup dans le destin individuel, la formation tout au long de la vie est un enjeu central » pour fluidifier le marché de l’emploi, souligne l’ancienne ministre. Il serait également intéressant de créer des passerelles entre les branches, comme cela s’est fait en Belgique entre le secteur bancaire et le secteur médico-social… mais aussi entre les différentes formes d’emploi (CDI, intérim, auto-entreprenariat, freelancing…) en réduisant les différences de protection sociale entre ces statuts : « Posons-nous d’abord la question de la mission avant de nous poser la question du contrat », invite Frank Ribuot, Président du groupe Randstad France. « 70 % des ruptures de CDII font suite à une embauche en CDI : Randstad se définit aujourd’hui davantage comme un expert de la mobilité professionnelle que comme une entreprise de travail temporaire. » Car le grand changement de ces dernières années, c’est que l’on quitte son poste plus rapidement : au bout de 18 mois en moyenne, contre 3 ans avant la crise du Covid. La France ne connaît pas de « grande démission », mais bien plutôt une « grande mobilité ».
Dans ce contexte, Pôle emploi mène une action « coup de poing » ciblée sur 23 métiers dans 3 secteurs en particulière tension : l’hôtellerie-restauration, le médico-social et les transports. Le principe ? À l’échelle régionale et en lien avec les professionnels, constituer et piloter des viviers de demandeurs d’emploi détenant les compétences minimales requises. « Nous étendrons cette démarche à d’autres secteurs si elle se révèle efficace », explique Jean Bassères, Directeur général de Pôle emploi. Au-delà de cette expérimentation, d’autres actions continuent d’être menées dans la durée : découvertes de métiers, formations préparatoires à l’emploi, diversification des modes de recrutement, comme à travers l’opération « Du stade vers l’emploi », qui abaisse – avec succès – les barrières entre recruteurs et demandeurs d’emploi par la vertu de la pratique sportive. Pour Frank Ribuot, il faudrait pouvoir mettre l’accent sur ce type d’initiatives qui ont fait leurs preuves : « Le rôle de la puissance publique, c’est de mettre des moyens pour passer à l’échelle des dispositifs qui fonctionnent bien. »
Le Groupe Randstad France, Supporteur Officiel du recrutement de Paris 2024, s’associe au dispositif “Impact 2024 – du stade vers l’emploi” soutenu par le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, l’Agence Nationale du Sport et le Ministère du Travail. Ce dispositif est également porté par Pôle emploi avec le soutien de cinq fédérations sportives (athlétisme, badminton, basket, tennis de table, rugby). Il permet aux entreprises de recruter différemment, à travers une expérience originale qui valorise le savoir-être des candidats. Acteurs de l’emploi, entreprises et demandeurs d’emploi participent à une dynamique collective afin de faciliter le recrutement, briser la glace et mettre en avant les valeurs communes du sport et du travail : l’esprit d’équipe, la persévérance, la réactivité… Le sport devient ainsi un véritable révélateur de compétences.
Les liens entre le monde de l’intérim et Pôle emploi se resserrent toujours plus, en tout cas, comme le prouve la signature, en mai 2021, d’une nouvelle convention de partenariat. « Un cap décisif, pour Isabelle Eynaud-Chevalier, Déléguée générale de Prism’emploi. Il y a chez nous une capacité de réponse aux impulsions de l’opérateur public. » Et cela commence par la volonté de se connaître pour mieux travailler ensemble : « Ce ne sont pas les institutions qui coopèrent, ce sont les personnes. » Prism’emploi et Pôle emploi ont par exemple ainsi créé « les Jeudis de l’intérim et du recrutement », afin de présenter à des centaines d’agences d’emploi, chaque mois, l’offre de services de Pôle emploi, en visioconférence. La coopération entre tous les acteurs du marché de l’emploi, sans que les uns ou les autres cherchent à défendre leur pré carré, semble plus que jamais à l’ordre du jour.
Du désir et du sens !
Pour conclure cette matinée très riche de témoignages, de réflexion et d’échanges, Loïck Roche, Directeur général adjoint du groupe IGS, a mis en exergue le paradigme d’inclusion, qui suppose « d’aller chercher la personne », là où l’insertion lui demandait davantage de s’en sortir par elle-même. Aller chercher une personne, c’est d’abord aller chercher son désir, « ce que les gens portent en eux », pour lui permettre de l’exprimer. Car, il ne faut pas s’y tromper : si la responsabilité de l’entreprise n’est pas de donner du sens à ses collaborateurs, elle est bien de mettre en place les conditions nécessaires pour qu’ils trouvent du sens dans leur travail. C’est-à-dire qu’ils réalisent des choses et, en même temps, qu’ils se réalisent eux-mêmes.
Assistez au replay de la matinée :