le 28 mai 2024
Plaidoyer pour une intelligence culturelle

Ana Maria Olcina
Directrice marketing du groupe Randstad France, en charge du Royaume-Uni, de l’Amérique latine et de l’Europe du Sud

« Environnement multiculturel » : l’expression évoque immédiatement des individus de pays différents. C’est en effet la diversité culturelle la plus évidente, sans doute parce qu’on la rencontre partout : à l’école, à l’hôpital, dans l’entreprise, etc. Mais la diversité culturelle est bien plus large. « L’étrange étranger », avec ses références, ses valeurs, son langage, n’est pas forcément d’une autre nationalité.

Songez aux cultures professionnelles : passer d’une ONG à une entreprise permet de mesurer combien l’approche d’un même sujet ou d’un même processus peut varier. Entre ces deux mondes, la perception des relations humaines, le rapport au temps, à l’argent ou à la hiérarchie n’ont parfois rien à voir. Je l’ai constaté dans mon propre parcours. Et que dire des cultures générationnelles ? Jeunes et seniors ne partagent pas le même rapport au travail ou à la technologie. Enfin, l’histoire de chacun, son milieu d’origine, son éducation, tout ce qui l’a construit, forge différentes cultures sociales, possibles sources d’incompréhension, elles aussi.

L’erreur serait donc de réduire l’enjeu interculturel à la seule nationalité. En réalité, l’interaction est permanente entre ces différentes sphères culturelles qui cohabitent en chacun de nous et se trouvent en plus ou moins grande contradiction. Pour comprendre l’autre, nous devons être vigilants et prendre du recul sur nos propres grilles de lecture. N’utiliser que son propre bagage culturel bloque la communication et empêche toute synergie au sein d’un groupe multiculturel. Ce ne sont pas les cultures qui entrent en contact, mais bien les individus qui en sont les porteurs.

La solution ? Elle tient essentiellement à une hygiène de pensée. Éviter les préjugés. Ne pas juger selon ses propres valeurs. S’intéresser réellement aux autres. Faire du respect et de l’appréciation de la diversité nos meilleurs compagnons. Avoir la curiosité de regarder ailleurs. Être disposé à penser ou conceptualiser au-delà de soi.

Mais qu’en est-il à l’échelle de l’entreprise ? La prise en compte professionnelle des enjeux interculturels est tout simplement stratégique. Dans un monde où la complexité augmente, une mauvaise prise en compte des facteurs culturels peut conduire à l’échec. Et cela ne se réduit pas au simple management dans un contexte international mais inclut des aspects bien plus larges. 

Cette conviction se fonde sur un constat simple : être le meilleur ne suffit pas. Il faut aussi être le plus performant dans la compréhension fine du marché. Et cela implique d’intégrer les enjeux interculturels, de saisir les mentalités, les modes de pensée, les croyances, les goûts et leurs évolutions par rapport à l’histoire, aux perceptions et aux représentations. 

À l’échelle d’un groupe international comme Randstad, présent dans 39 pays, déployer une stratégie d’intelligence culturelle relève de l’équilibrisme : d’un côté, la culture commune doit être suffisamment forte pour soutenir la croissance du groupe ; de l’autre, les cultures locales doivent pouvoir s’exprimer afin de répondre aux spécificités de leurs marchés mais aussi d’innover au profit du groupe, dans un mouvement de cercle vertueux. La Hollande est un petit pays qui, de ce fait, a toujours été ouvert aux autres. C’est peut-être la raison pour laquelle Randstad a, plus que d’autres multinationales, l’art de cultiver le « glocal » (global et local) et la conscience que c’est important. 

L’intelligence culturelle est d’abord une démarche personnelle. Les dirigeants ont le pouvoir d’en faire une véritable stratégie d’entreprise. Ils placeront ainsi leur organisation sous les meilleurs auspices pour l’avenir.

 

  Ana Maria Olcina

Originaire des Îles Canaries, en Espagne, Ana Maria Olcina est diplômée de l’ICADE et titulaire d’un master international MBA à l’Instituto de Empresa. Elle débute sa carrière en 1993 dans le marketing chez Colgate Palmolive Espagne. En 1996, elle intègre l’entreprise de tabac Philip Morris aux Iles Canaries, au poste de responsable marketing. 

Elle rejoint ensuite en 1997 le secteur de la cosmétique /pharmaceutique chez Johnson & Johnson Espagne. Elle y travaille notamment sur le lancement de produits pour les marques Roc ou Neutrogena. 

En 1998, Ana Maria intègre l’entreprise de tabac Altadis Espagne, où elle occupe différents postes marketing et trade marketing. Elle rejoint Altadis France en 2002 au poste de directrice Marketing Opérationnel, puis devient directrice Marketing Consommateur et Trade Marketing en 2006. Trois ans plus tard, lors du rachat d’Altadis par Imperial Tobaco, Ana Maria s’occupe de la fusion, puis devient Directrice Marketing Consommateurs, Trade Marketing et Innovations. 

En 2013, elle rejoint le groupe Randstad France au poste de directrice Marketing Groupe. Depuis 2023, elle est également en charge du Royaume-Uni, de l’Amérique latine et de l’Europe du Sud.