François Moreau
Secrétaire général du Groupe Randstad France
C’est un phénomène global et durable : les pénuries de main-d’œuvre touchent un nombre croissant de secteurs et devraient perdurer encore longtemps. Ainsi, selon l’OCDE, l’Europe devrait accuser un déficit de 35 millions de travailleurs d’ici 2050. Cette situation du marché de l’emploi doit nous amener à innover socialement pour encourager les employeurs à se tourner vers des publics encore trop laissés de côté. Parmi eux, les seniors représentent une force de travail immédiatement mobilisable car disposant d’une expérience professionnelle, d’un savoir-faire et d’un savoir-être précieux.
Les séniors, un vivier de talents trop peu exploré
Le taux d’emploi des seniors progresse depuis plus de vingt ans et il faut s’en réjouir. Pour autant, avec 56,9% des 55-64 ans en emploi en 2022, la France reste 5,5 points sous la moyenne de l’Union européenne. Et au sein de cette tranche d’âge, le taux d’emploi diminue fortement à partir de 60 ans, avant de plonger sous les 20% à partir de 64 ans.
L’État va devoir renforcer l’accompagnement de ces publics dans un contexte d’augmentation de la durée des carrières, en répondant à des enjeux de qualité de vie au travail et d’employabilité. Et ce, d’autant plus que la baisse du chômage crée une raréfaction des compétences disponibles, entraînant des tensions durables sur le marché de l’emploi.
Plusieurs actions permettraient d’améliorer le taux d’emploi des seniors.
L’un des enjeux clés est d’investir davantage dans la requalification et la montée en compétences, y compris en proposant une formation professionnelle continue, tout au long de la vie. Cela faciliterait notamment la reconversion de salariés exposés à des facteurs de pénibilité au travail ou dont le métier est menacé d’obsolescence.
On se félicite souvent du tremplin vers l’emploi que l’intérim offre aux jeunes, faisons du travail temporaire un outil pour renforcer l’employabilité des seniors ! On pourrait augmenter le plafond de durée maximale pour les missions d’intérim de 18 à 36 mois, abroger le délai de carence pour les plus de 60 ans, et prendre en compte les attentes et les besoins spécifiques des seniors, à l’image de ce qui est fait pour le handicap. Cela permettrait à ceux qui le souhaitent de gérer leurs dernières années de carrière avec davantage de liberté et de souplesse entre les temps de vie privée et de vie professionnelle.
Créer un CDI-I spécifique pour les 60 ans et plus
Mais si nous allions plus loin ? Au sein de l’organisation professionnelle des entreprises de travail temporaire et de recrutement Prism’Emploi, Randstad porte une proposition forte : créer un CDI intérimaire senior pour les 60 ans et plus. Ce contrat offrirait les mêmes avantages que le CDI intérimaire (la sécurité d’un CDI, la pluralité des missions et la prise en charge par l’employeur des périodes d’intermission), avec trois aménagements majeurs : une exonération de cotisations sociales pour inciter entreprises et candidats à entrer dans le dispositif, un budget spécifique pour la formation et une fin de contrat calée sur la date de départ à la retraite à taux plein du salarié.
L’intérim est en effet une forme d’emploi de plus en plus choisie par les seniors. Les personnes entre 50 et 59 ans constituent ainsi la tranche d’âge avec la plus forte intensité d’emploi parmi l’ensemble de la population intérimaire. Celles-ci réalisent davantage de missions que les autres tranches d’âge et ont une intensité de travail près d’un tiers plus élevé que la moyenne des intérimaires. L’intérim répond à leur besoin de flexibilité et leur offre la possibilité de rester en activité tout en se formant. Après 60 ans, l’intensité d’emploi en intérim diminue dans une logique d’activité exercée à temps partiel.
Dans les pays vieillissants de l’OCDE, les seniors sont appelés à jouer un rôle important dans le monde du travail multigénérationnel de demain. À tout âge, le travail doit pouvoir rester une source d’épanouissement et d’émancipation. Pouvoirs publics, entreprises, partenaires sociaux : jouons collectif et mobilisons-nous pour redonner aux séniors toute leur place dans le monde du travail ! Ne nous y trompons pas, le sujet touche à la cohésion de la société tout entière.
Tribune initialement publiée le 23 octobre 2023 dans le quotidien économique français Les Echos.